René Bail,
cinéaste de l’ombre, a profondément
marqué ses contemporains (Claude Jutra, Gilles Groulx,
Gilles Carle, Guy L. Côté, Michel Brault,
André Pâquet, Jean Pierre Lefebvre, Jacques Leduc,
Robert Daudelin, etc.). C’est avec des moyens très
limités que, dans les années cinquante, le jeune
cinéaste réalise des expériences qui
s’avèrent les premiers balbutiements de ce qui
s’affirmera ultimement comme la tradition du
cinéma direct au Québec.
Puisque l’enseignement cinématographique est
inexistant à l’époque, René
Bail, avec passion et discipline, entreprend très
tôt sa formation de façon autodidacte.
C’est en visionnant les films hollywoodiens des
années quarante et cinquante à
répétition, trois jours par semaine, entre 13
heures et 23 heures, que le cinéaste en herbe arrive
à mémoriser toutes les répliques des
films mais, également, tout le découpage
technique et le montage. Les films américains, qui occupent
presqu’en totalité les salles du marché
« canadien-français », contribuent donc
largement au développement de l’imaginaire du
cinéaste ainsi qu’au développement de
son langage cinématographique.
Ainsi, durant les années cinquante, René
scénarise, réalise, monte, sonorise, produit,
filme et développe lui-même une dizaine de films.
Il dirige, par ailleurs, des acteurs non professionnels de
façon novatrice et, par son approche avant-gardiste du
tournage, qui se rapproche du cinéma direct encore
à naître, il suscite l’admiration de
cinéastes importants tels Jutra, Carle, Labrecque, Lefebvre,
etc. Par leur liberté de ton, les scénarios du
jeune cinéaste se révèlent
dérangeants, ce qui ne manque pas de plaire à
l’élite cinématographique de
l’époque.
Avec le succès inattendu des Désœuvrés
(1959), un film qui, selon lui, n’est pas terminé,
René Bail accomplit son entrée dans
l’histoire du cinéma
québécois.
Malgré le succès notable qu’il obtient
avec ce film, le cinéaste décide de prendre un
peu de recul pour se consacrer à la moto, une passion
nouvelle qui aura tôt fait de l’accaparer tout
entier. Durant cette période, qui
s’échelonne sur douze ans, René
n’abandonne toutefois pas complètement sa
première passion. Il termine un long métrage
expérimental, Chantier,
entamé en 1956. Il est également
engagé par Gilles Carle comme monteur sur quelques
publicités et films. Enfin, il se consacre à
l’écriture d’un immense
scénario (plus de 1600 pages) en trois volets (KLG 80) et
d’un manifeste (Manifeste
pour un cinéma libre).
Puis, en 1972, distrait par une publicité d’un
type nouveau sur l’autoroute, le cinéaste subit un
tragique accident qui lui laissera de graves séquelles.
Brûlé au troisième degré sur
plus de 65% du corps, il prend plus d’un an et demi
à se remettre sur pied.
Pendant sa convalescence, René rêve de terminer Les
Désœuvrés qui, dans sa
version actuelle, ne correspond pas à
l’œuvre parfaitement
réfléchie qu’il avait
couchée sur papier. Pour de multiples raisons le projet
s’avère toutefois impossible. Entre autres,
René ne retrouve plus les éléments
originaux du mix final. Mais en 2003, coup de
théâtre, la Cinémathèque
québécoise retrouve les bandes sonores originales
et, à 71 ans, le cinéaste peut enfin aller au
bout de son idée. Les
désœuvrés sera donc
terminé selon les intentions de son auteur.
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